Il y a maintenant un an, quelque chose s'est passé dans ma vie qui l'a changée pour toujours.
J'en parlerais peut-être un jour ici, ou peut-être pas. C'est le genre de choses qui est tabou, et qui fait fuir un certain nombre de personnes, la famille et les amis inclus donc les inconnus d'internet, j'imagine bien ... Mais c'est un tabou qui serait bon de briser aussi. Un tabou que j'ai refoulé toute ma vie et qui du coup me l'a complètement foutue en l'air, sans que je m'en rende compte.
Mais du coup, cette révélation m'a bien bouleversé et surtout m'a bien abimé, quand même. Même si j'ai compris un certain nombre de choses, ça m'a encore une fois influé sur mon équilibre alimentaire, et donc par conséquent ... mon poids. Comme d'habitude.
Si j'en ai parlé à plusieurs reprises, ici. J'ai parfois besoin de revenir là-dessus. C'est comme ça, ça fait partie de moi comme les fringues, la photo ou les sourires jusqu'aux fossettes.Et puis surtout, ça se voit.
6 ans. Mes frères & moi.
A 6 ans, je trouve ma maman magnifique
( elle l'est toujours ) et lui dis qu'elle a de la chance d'être si belle. Elle me répond que je devrais être heureuse d'avoir une maman jolie. A moi de lui répondre
" & toi, tu dois être bien triste d'avoir une petite fille aussi laide ... ".
J'ai des souvenirs de total insouciance vis à vis de mon apparence, de ma silhouette ou de mon poids. Mais ils doivent remonter à la maternelle. Et ça fait loin.
J'ai commencé à faire l'expérience des crises de boulimie
en 5ème. Je venais de déménager, je faisais l'expérience douloureuse de la puberté, j'étais amoureuse d'un garçon qui se fichait totalement de moi. J'étais terriblement malheureuse. Et rien que de penser à la petite fille que j'étais encore, ça me fait mal.
J'aimerais bien la serrer dans mes bras, lui dire que ça ira, que ce garçon n'est pas le seul sur Terre, qu'elle est jolie, intelligente, brillante, gentille, attentionnée et qu'il y a un monde hors du collège.
En 3ème, j'ai réalisé que la boulimie n'impliquait pas forcement une prise de poids si je mettais deux doigts au fond de la gorge après chaque crise, j'ai commencé aux crises, puis tous les midis au collège. L'engrenage a été violent. Mes profs s'en doutaient. Mon prof d'EPS en a parlé à mes parents. J'ai le souvenir d'une période de mensonge à mes parents où je jurais sur leurs têtes qu'oh grand jamais, je ne me faisais pas vomir. Ils me croyaient. Ils pensaient sans doute que leur adorable petite fille ne pouvait pas leur mentir, pas sur ça. Je faisais des malaises parfois plusieurs fois par jour. Mélange de stress, d'épuisement, d'angoisse, mon corps qui n'en pouvait plus. Et puis à la fin de l'année scolaire, je leur ai avoué que oui je me faisais vomir. Ce fut dur. Je devais partir l'année suivante à l'internat pendant la semaine, à 40km de chez moi. J'avais déjà prévu de ne plus rien manger. Il était bien évidemment plus question que j'y aille. Je me suis donc inscrite au lycée de mon secteur. Cet été là a été un des plus terribles pour mes parents je crois bien. 2 semaines avant mon brevet, j'ai été hospitalisée puis relâchée pour pouvoir justement le passer. J'ai passé un été bronzée & maigre, ma mère pleine de bonne volonté me faisait des tomates quand les autres mangeaient des pâtes pour que je mange quand même quelque chose. Un jour je me suis regardée dans la glace, et je me suis trouvée maigre. La seule et unique fois de ma vie. Mais dans tous les cas, c'était toujours pas bien.Je ne me suis jamais trouvée "jolie", je ne me suis jamais dit "ça suffit, on arrête les conneries".
14 ans. Seconde.
En 2nde, j'ai continué à me faire vomir. J'allais quand même mieux, j'avais repris un peu de poids. Mais cette maladie faisait quand même partie de moi. Je ne pouvais pas la laisser partir comme ça. J'avais enfin des copines, certains garçons me trouvaient jolie. C'était quelque chose qui me maintenait comme intéressante aux yeux des gens autour de moi. Enfin, c'est ce que je croyais. En fait c'était plutôt le contraire. J'ai eu mon premier vrai petit copain cette année là. Il m'a quitté. J'ai su des années après que c'était notamment parce que j'étais trop mince, qu'il avait peur de me briser. Enfin, c'est ce qu'il m'a dit ensuite. Sur le coup, je n'avais pas l'impression d'être trop mince. J'en ai eu d'autres. Et j'arrivais pas à me dire que je pouvais leur plaire comme ça, juste comme j'étais au fond de moi alors je continuais mon tourbillon de fille malheureuse. Comme si je ne pouvait être que ça, comme si je ne savais être que ça.
En 1ère, j'ai déménagé. Mon père a quitté son boulot et toute la famille est partie en Normandie. Ce fut dur et génial à la fois. J'ai rencontré des filles adorables. Je n'ai gardé contact qu'avec une seule de ces copines. J'ai quand même fait 3 allers retours à l'hôpital cette année là, dont 2 TS. Je ne saurais même pas dire pourquoi en fait. Je me souviens juste d'une fois où j'étais devenue folle sans réellement savoir pourquoi, je me souviens avoir dit des choses horribles à mon père, me retrouver le sarouel tellement en sang qu'on n'en distinguait plus la couleur
( oui sarouel, sans commentaire ) , et mon petit frère de 10 ans attendant les pompiers en bas de chez moi pour leur indiquer le chemin. Voilà les souvenirs qui rythment aussi ma vie. C'est comme ça.
17 ans. Terminale.
En terminale, j'ai resombré dans l'anorexie. Sans vraiment m'en rendre compte. Sans tomber dans la maigreur absolu. Une maladie silencieuse, où je voulais me faire toute petite, où je voulais arrêter de faire des vagues et souffrir en silence. Je me souviens aller au lycée et avoir tellement de vertiges que je ne savais pas si j'allais arriver jusque là bas. La faiblesse. La faim. Les mensonges. La tension qui descend. Et la vie qui repart, un voyage aux Etats-Unis exceptionnel, l'été où je rencontre l'amoureux que j'ai toujours aujourd'hui.
Je décide d'arrêter de me faire vomir à ce moment là. Un choix que j'ai longtemps regretté pour autant. Il faut l'avouer.
18 ans. Prépa.
1ère année de prépa ortho. Paris. je prends 15 kilos. Je me déteste. Je n'ai jamais été aussi grosse. Mon visage est gonflé. Les vomissements ont arrêté mais les crises de boulimie, non.
C'est la première fois depuis que je ne suis plus une petite fille que je suis
ronde. J'ai mal d'être comme ça. Je sais de source sûre que ça parle sur mon dos, dans la famille, chez les amis du fait que j'ai tant grossi. Ça me fait encore plus mal.
22 ans. M1 de psycho.
Je pars en psychologie. Les années passent. Le yoyo continue. Je prends et perds au fil des humeurs, au fil de la vie, au fil de mes périodes où je mange 2 cuillère à soupe de taboulé par midi, de mes 10 heures de sport par semaine, ou des tartines de nutella le matin. Mais je ne retrouve jamais le corps de mes 14.15.16 ou 17 ans. Je suis toujours considérée comme "ronde". On me dit
"mais c'est normal, tu es devenue une femme" ou bien encore
"mais moi non plus je ressemble pas à ce que je ressemblais à 17 ans c'est normal ". Est-ce normal de peser 20 ou 30 kg de plus ? J'ai un doute. Je ne sais pas où se situe la normalité, la normalité n'existe pas et j'ai toujours voulu m'en échapper.
Mais aujourd'hui, qu'on ne me dise pas
"il suffit de manger équilibré, il suffit de faire du sport". J'ai fait du sport à outrance et mangé très équilibré ( voir même parfois en si petite quantité que j'me faisais penser à la fille que j'étais en terminale) et je faisais encore du 42.
Et puis maintenant je n'y arrive pas, je n'y arrive plus. J'ai comme plus la force de me battre pour rentrer dans les normes, et mon corps et moi ne sommes plus copains. En fait, on ne l'a jamais été je crois.
Je suis toujours affectée par les commentaires cinglants sur la voisine / la copine / la fille dans la rue qu'on critique parce qu'elle est "fat", par les commentaires "no excuses" sur des post instagram prônant la minceur et la bonne hygiène de vie ( comme si l'un n'allait pas sans l'autre ). J'ai été ronde et en bonne santé et j'ai été rattrapée par ma vie, par les regards des gens aussi. On ne m'a jamais dit quand j'avais perdu énormément de poids
"C'est bon là, t'as fini. T'as pas besoin de perdre plus. T'es belle & en bonne santé, qu'est-ce qui te faut de plus ? ". Alors oui, c'est sûrement idiot de ma part, je ne devrais pas avoir besoin du regard des autres.
Peut-être que cet article surprendra tous ceux et celles qui me trouvent tellement épanouie. Je ne dis pas que mon sourire n'est pas réel. Il fait partie de moi. Je suis une fille joviale parfois. J'aime bien rigoler. Et je souris avec toutes mes dents. Mais j'ai aussi cette fêlure au fond de moi. Cette fêlure dont je ne parle pas, mais qui a influé tout mon rapport à mon corps. Et je me retrouve à l'aube de mes 25 ans,
à essayer de lui pardonner, de me pardonner pour me reconstruire enfin. Loin des dictats actuels qui veulent nous faire croire que
"prendre soin de soi = être mince", qui veulent nous faire croire que
"être belle = être mince" . Parce je n'ai pas juste bousillé mon estime de moi, j'ai aussi bousillé mon avenir personnel & professionnel en me détruisant de la sorte depuis l'âge de 13 ans. Je ne suis pas seulement grosse d'extérieur, je suis aussi profondément meurtrie et détruite de l'intérieur. En quête de reconstruction.
Et je pense qu'il est important parfois de réaliser ça avant d'aller tellement mal qu'on n'arrive plus à se relever.