TW : viols, pédophilie, troubles du comportement alimentaires, suicide.
Hier, j'ai été au cinéma. J'ai été voir un film que je voulais voir dès que j'ai vu la bande annonce :
Les Chatouilles, un film d'Andréa Bescond et Eric Metayer.
Ce film est l'adaptation d'une pièce de théâtre : Les Chatouilles ou la danse de la colère. C'est l'histoire d'une petite fille qu'un ami de la famille a violée toute son enfance. C'est l'histoire de sa vie adulte, de sa tentative de reconstruction. C'est l'histoire de ses souvenirs. L'histoire de sa douleur.
Ce film était ... d'une violence inouïe quand on l'a vécu soi-même, et en même temps je crois que tout le monde devrait le voir. Tout le monde doit savoir ce que c'est. Tout le monde doit savoir que ça existe, dans tous les milieux, que la pédophilie n'a pas de visage, pas de style, pas de métier. On peut être bien habillé, réussir dans son métier et rentrer dans les chambres des enfants la nuit. Et tout le monde doit savoir qu'on peut s'en sortir. Que c'est possible.
Il y a quelques années, j'avais parlé de cette période de ma vie ici. J'avais supprimé l'article quelques temps après, par pudeur, parce que c'était trop violent encore, trop dur ...
C'est encore souvent dur. Je suis fière aussi quelque part d'avoir réussi à ne pas m'écrouler. Souvent, je me demande où est-ce que j'en serais si ça ne m'était pas arrivé. Je n'arrive pas à m'imaginer sans aucune douleur, sans aucune souffrance. Comme si elle avait fait toujours partie de moi et m'avait finalement construite.
Depuis toutes ces années, j'ai voulu me défaire de mon corps. Mon corps &; moi-même, j'en faisais une très nette distinction. Je n'étais pas mon corps. C'est moins douloureux sans doute plutôt que de s'avouer que quelqu'un l'a violé. Puisque oui, moi j'ai fait une amnésie partielle pendant de longues années, toute mon adolescence à vrai dire et le début de ma vie d'adulte. On appelle aussi cet oubli, un "déni".
J'ai fait du mal à mon corps dès l'âge de 12 ans avec des crises d'hyperphagie. Je ne savais pas vraiment pourquoi j'étais mal au point de vouloir manger en permanence, dès que j'étais seule. Et après, il y a eu l''anorexie et les vomissements qui ont abîmé un peu plus mon corps. Et les scarifications et les tentatives de suicide.
J'ai passé mon adolescence à haïr mon corps, à le détester, à lui faire du mal sans comprendre le sens de mes agissements.
Et à côté de ça, je voyais plus ou moins régulièrement cet homme-là car, comme très souvent dans ces cas-là, c'était quelqu'un de mon entourage familial. J'étais toujours très mal à l'aise à ses côtés sans savoir pourquoi. Et je revenais encore plus régulièrement sur le lieu des viols, puisque c'était une maison familiale de vacances, une maison que j'adorais, dans laquelle je croyais me sentir bien alors que mon corps me faisait sentir que je n'étais pas à ma place puisque j'y faisais des infections urinaires systématiquement.
Et un jour, j'ai rencontré une thérapeute qui m'a aidée à ouvrir les yeux. Et le brouillard devant mes yeux s'est peu à peu dissipé. Ça n'a pas été facile. C'était même un calvaire pendant plusieurs mois, à revivre les scènes, à jongler entre une plainte déposée, les ruptures familiales, la culpabilité de mes proches, la mienne aussi et ma vie qui continuait. J'ai aussi entamé un revirement étudiant pendant cette période. J'ai lâché mes projets de devenir psychologue pour devenir professeur des écoles. Une décision que je n'ai jamais regrettée ... Même si la préparation du concours a été une autre épreuve.
Aujourd'hui, je ne suis pas pleinement guérie de tout ça. Savoir est ma force et ma faiblesse. Je me suis d'ailleurs effondrée en pleurs plus d'une fois au cinéma quand j'ai vu ce film. Mon rapport au corps est toujours très complexe. Mon hypersensibilité est devenue à peine contrôlable. J'ai peur que mes futurs enfants vivent la même chose que moi et en ressortent brisés, cassés, en vrac.
Et pourtant, je me sens enfin en sécurité avec un homme que je vais d'ailleurs épouser. J'ai un job formidable et je réussis à me lever chaque matin parce que je suis heureuse de faire un métier où je peux être cette personne qui fait la différence dans la vie des enfants, ou en tout cas qui essaye. Et pas un jour ne passe sans que je rigole avec eux. Et ça c'est plutôt chouette.
On s'en sort, mais pas sans séquelles. 1 enfant sur 5. N'oublions pas les enfants d'hier, d'aujourd'hui, de demain. Faisons en sorte qu'il y en ait de moins en moins. Ouvrons les yeux sur cette réalité.
Des personnes de ma famille ont pris le parti du bourreau en me faisant passer pour folle. J'ai appris à me défaire de ça, et à garder uniquement les belles personnes, à accepter et à entendre que je suis la victime, et pas l'inverse.
Même si je ne suis pas que ça. Je suis mille fois plus que ça.