" Bonsoir, Vos témoignages sont extrêmement touchants. J'ai 21 ans et je souffre d'anorexie-boulimie depuis 4 ans. Cela va faire 2 ans que je suis suivie par des spécialistes à la Timone à Marseille. J'ai du mal à faire totalement confiance à l'équipe car depuis que mon anorexie s'est calmée et que ma boulimie a repris le dessus je ne cesse de grossir (je mesure 1m54, je pesais 39 kilos, suis passée par des paliers à 46, 48 kilos, mais là je suis plus à 53-54). J'ai très peur de grossir de nouveau, dans mon adolescence il m'est arrivé de peser jusqu'à 70 kilos... Je vous en prie si vous êtes passé(e)s par là partagez votre expérience avec moi. J'aimerais m'en sortir mais quitter la maladie me fait peur. Je ne sais plus quoi faire, aidez moi je vous en prie. Merci. "
Hier j'ai reçu ce commentaire particulièrement poignant. Anonyme et sans aucune possibilité de joindre la personne, j'ai décidé de lui répondre ici. Je ne prétends pas pouvoir aider les autres sur un sujet aussi délicat et parfois dramatique que les troubles du comportement alimentaire. Je peux simplement apporter le regard d'une ex. D'une ex anorexique. D'une ex boulimique.
Je me dis parfois que c'est 1 erreur. Que les personnes en telle souffrance qui viennent ici, et qui se battent contre l'anorexie ou la boulimie, vont prendre peur en me voyant. En voyant qu'en guérissant, je suis devenue l'exact opposé de ce qu'elles recherchent. Une femme ronde. Mais voilà, c'est mon vécu et c'est ce que je suis devenue. Pour le moment.
Mais toi, chère anonyme, tu as décidé de m'écrire. Pour que je partage mon expérience. J'estime l'avoir assez souvent partagée, j'ai même parfois peur de gonfler mes lectrices avec ça. Mais c'est vrai que je parle rarement de la guérison. Du moment où j'ai réalisé que je n'étais plus vraiment en souffrance avec mon poids. Ou en tout cas moins. Du moment où j'ai réalisé que je mangeais avec plaisir, sans jamais penser à vomir. A vrai dire, du point de vue que j'en ai, la guérison c'est quelque chose qu'on veut. Qu'on désire au plus profond de soi. Et il faut un but. L'anorexie est une maladie perverse dans laquelle on se complait parfois. Et c'est bien tout le problème. Je ne veux pas faire de généralité d'une maladie si complexe mais je sais que je ne détestais pas être anorexique. Boulimique si bien sur. Mais anorexique, j'avais le contrôle sur ma vie, sur mon corps, sur ma famille et je me sentais en quelque sorte supérieure. Supérieure d'être capable de me passer de quelque chose d'indispensable à l'être humain : la nourriture. Et puis il y a cette peur. Cette peur dont tu me parles, la peur de grossir, de voir son corps changer... Et je comprends cette peur. Je la comprends. Parfois même je me regarde dans la glace et regrette parfois ce corps mince, frêle, fragile de l'anorexique. Donc oui je te comprends. Mais un jour tu vas te réveiller, il le faut, et tu vas réaliser que la vie n'est pas que contrôle de soi, comptage des calories, crises de boulimie, et pesée quotidienne. Moi je suis tombée amoureuse. Et voir le regard triste de l'homme que j'aime quand il me regardait me détruire, ça m'a passé ... Aujourd'hui je n'le vois plus ce regard là. Il est parti. Parce qu'il ne me voit plus sortir des toilettes en sachant que j'me suis fait vomir jusqu'au sang. Il me voit plus épanouie. Il sait que j'ai des complexes liés à mon poids. Mais il n'aurait jamais supporté que je me détruise toute ma vie. Toute notre vie.
Je pense que pour comprendre véritablement la maladie. Il faut être passé par là. Et tout les membres d'une équipe médicale, malgré tout leurs diplômes, ne savent pas forcément par quoi tu passes. Et c'est parfois frustrant. Et désespérant de se sentir incomprise. Mais pourtant si tu t'ouvres vraiment. Et si tu combines un suivi psy avec d'autres activités qui contribuent à ton épanouissement, comme peut être un sport que tu apprécies, tu pourras en retirer quelque chose de positif. Mais la prise de poids est bien la partie la plus difficile mentalement de la guérison. Attention. Je ne dis pas que tu vas forcément repeser les 70kg de ta jeunesse. Je connais une ancienne anorexique qui a un corps encore mince... Je ne suis pas le modèle à ne pas suivre : je suis gourmande, j'ai d'autres problèmes hormonaux qui font que la perte de poids est difficile... La guérison n'entraine pas fatalement une prise de poids sans fin. Mais il faut que tu puisses lâcher un temps ta balance, lâcher cette peur de guérir. Parce que vraiment. Rien n'est meilleur que d'être en bonne santé. Tu as toute ta vie pour perdre quelques kilos superflus si tu trouves que ton corps ne te convient pas. Moi même j'ai dans l'optique d'en perdre une dizaine. Mais moi je suis sûre, ou presque, de ne pas retomber dans la maladie. Toi tu as encore un travail à faire. Accepter de voir ton corps changer un peu ( même si encore une fois tu ne deviendras pas ronde pour autant. Tu peux très bien te stabiliser à ton poids actuel !). Accepter d'avoir une relation moins conflictuelle avec ton image, la balance, ton alimentation, les gens qui t'aiment et qui ne veulent que ton bonheur. Et surtout accepter d'être heureuse. Je sais qu'à la lire, cette phrase peut paraitre totalement saugrenue. Mais je sais qu'à être malade pendant plusieurs années, on en oublie le goût du bonheur... On n'a qu'une vie. Elle est parfois assez compliquée pour pas se la compliquer soi-même. Alors revis. Pour toi. Pour ta famille. Tes amis. Et même pour moi. Mais encore une fois, avant tout pour toi. Moi maintenant je suis ronde. Mais j'ai un copain beau, adorable, gentil, qui me fait rire. J'ai des amies géniales qui n'ont pas peur que j'aille me faire vomir après chaque repas. Je fais du sport et j'ai une énergie folle que je n'avais pas à 40kg. Je ne fais plus de malaises chaque jour. Je suis en 3ème année de psychologie. Et si par malheur je ne continue pas dans cette voie, je pense à d'autres projets. Je fais de la photo et j'adore ça. Je ne compte plus mourir et si j'ai comme optique de perdre quelques kilos, j'essaye d'avoir autre chose en tête. C'est ça guérir. C'est avoir les yeux rivés sur le futur. Et non plus uniquement sur soi, sur son corps. Alors courage. C'est dur. Mais tu as trop à perdre à rester comme ça. Et trop à gagner en relevant la tête. Tu peux le faire. N'attends pas de fêter tes 20 ans d'anorexie boulimie sur un lit d'hôpital...
B